Voici le chapitre que j’ai écrit pour le livre « Bibliothèques universitaires : nouveaux horizons » qui vient de paraître au Cercle de la Librairie. La condition initiale pour que j’accepte d’écrire ce chapitre était que je puisse le déposer en open access. Elle a été intégrée dans le contrat éditeur pour la « version de travail ». Voici donc cette version.
Bibliothèques académiques et archives ouvertes : quels enjeux en France ?
Introduction
Dans un contexte de crise économique mondiale, d’inégalités entre les hommes pour l’accès aux résultats de la science, l’accès ouvert[1] aux résultats de la recherche est devenu un enjeu important des politiques scientifiques publiques. Quels rôles jouent les bibliothèques académiques[2] dans la diffusion des résultats de la science en accès ouvert ? Comment se sont-elles emparées des archives ouvertes et quels sont les résultats de leurs actions ? Quelles compétences ont-elles à mettre en œuvre pour promouvoir l’accès ouvert aux résultats de la recherche des établissements d’enseignement supérieur ? Tels sont les questions auxquelles nous essaierons d’apporter des éléments de réponse dans ce chapitre, en nous attachant à la situation en France.
Un rapide historique
Les fondements de l’accès ouvert sont énoncés dans « L’initiative de Budapest pour l’accès ouvert » en 2002 qui en pose les définitions. L’idée est de combiner la volonté des chercheurs de voir circuler leurs publications et les possibilités offertes par internet pour proposer la mise à disposition en ligne, gratuitement et sans restriction, à ces publications. L’appel est signé par seize personnes, chercheurs et représentants de l’Open Society Institute. Il vise à lever les obstacles vers l’accès libre pour « construire un futur dans lequel recherche et éducation soient beaucoup plus libres de s’épanouir dans toutes les parties du monde »[3] [INI2004]. Les chercheurs sont majoritaires parmi les signataires de cette déclaration dans laquelle les bibliothécaires sont présents par l’intermédiaire de l’association académique SPARC[4].
En 2003, la Déclaration de Berlin est signée, qui permet à plusieurs pays et institutions d’adhérer aux principes d’une « représentation générale et accessible du savoir ». Cette déclaration met particulièrement l’accent sur le fait que la dissémination des résultats de la recherche fait partie intégrante du processus de recherche. Aujourd’hui, alors que la onzième conférence de Berlin a eu lieu en 2013, 480 institutions dans le monde en sont signataires.
Les chercheurs ont été très tôt à l’initiative d’archives en ligne thématiques (ArXiv, Cogprints, REPEC…[5]) toutes crées dans les années quatre-vingt-dix. Ainsi, Steven Harnard, a publié en 1994 sa « proposition subversive », « incitant tous les auteurs et leurs institutions à prendre exemple sur l’expérience des physiciens et à déposer leurs prépublications sur un serveur » [BOS2005]. Ces initiatives sont bâties sur le modèle historique de la communication savante, et construisent des sites de communication directe des résultats de la recherche entre chercheurs.
Plusieurs initiatives constituent alors les débuts des archive ouvertes, en France avec le Centre pour le Communication Scientifique Directe (CCSD) du CNRS, aux Etats-Unis avec Pubmed Central[6], en Allemagne avec eDoc[7], au Brésil avec la création du portail national Scielo.[8] Néanmoins, ces archives dispersées ne permettaient pas une recherche d’information à grande échelle. La création du protocole OAI/Open Archives Initiative en 1999, qui permet de rechercher, naviguer et moissonner les archives de manière simultanée en les rendant interopérables, vise à résoudre ce problème. Il vise à moissonner les métadonnées des publications et non leur texte intégral, afin de pallier aux nécessités d’espaces disques importants qu’impliquerait une réplication des textes des publications. Ce protocole va permettre au mouvement des archives ouvertes de se développer, sur la base de logiciels open source créés dans les années 2000 : eprints à l’Université de Southampton puis Dspace au Massachusetts Institute of Technology (MIT). Dspace a été créé en 2002 en partenariat avec Hewlett-Packard (HP) dans un but de collecte et de conservation des publications numériques des chercheurs du MIT. L’accès ouvert n’est pas clairement évoqué au moment de son développement. Grâce à la création de ces logiciels, l’implication des bibliothécaires dans le processus se développe.
Ces bases de données sont au départ des outils de collecte, classification, archivage, préservation des publications académiques d’une institution. Elles prendront le nom d’Open Access Repository ou d’archive ouverte après la déclaration de Berlin, à partir de 2003.
L’Association of Reserach Libraries (ARL) aux Etats-Unis, la Ligue européenne des bibliothèques de recherche (LIBER) en Europe, organisent alors les premières journées d’études sur le sujet. En France, Hélène Bosc est une des premières bibliothécaires à s’emparer de la question et elle construit l’archive ouverte « physiologie animale » à l’Insitut national de recherche agronomique (INRA) en 2002 [BOS2004].
C’est lors de la conférence Berlin 3 en 2005, que les signataires s’engagent à adopter une politique exigeant que leurs chercheurs déposent dans une archive ouverte institutionnelle (AOI) tout en encourageant les chercheurs à publier dans des revues en libre accès quand elles existent.
Aujourd’hui, si plus de 2600 dépôts d’accès ouvert existent dans le monde[9], leur visibilité auprès des chercheurs et du grand public reste faible. D’après Eloy Rodrigues, Directeur des Services de documentation de l’Université de Minho, les trois quarts des accès aux articles des archives ouvertes se font par l’intermédiaire de Google Scholar [POY2014]. De plus, l’interopérabilité entre les dépôts se heurte à la diversité des types de documents déposés (articles, documents multimédias, ensemble de données), à celle des disciplines et de leur référencement, et enfin au multilinguisme. Enfin, les dépôts d’articles en texte intégral représentent un pourcentage relativement faible des dépôts, environ un tiers en moyenne. Il y’a donc encore beaucoup à faire pour rendre effective l’appropriation de ces dépôts, tant par les chercheurs en tant qu’auteurs déposant leurs publications que par les lecteurs.
Les modèles de l’accès ouvert
Dès la déclaration de Budapest, l’accès ouvert a été décliné en deux « stratégies complémentaires », qui seront structurées par la suite et identifiées sous la forme des modèles « green open access» pour l’auto-archivage et « gold open access» pour la publication dans des revues alternatives :
« I. Auto-archivage : en premier lieu, les savants ont besoin d’outils et d’assistance pour déposer leurs articles de revues à comité de lecture dans des archives électroniques ouvertes, une pratique communément appelée auto-archivage. Lorsque ces archives sont conformes aux standards définis par l’Open Archive Initiative des moteurs de recherche et autres outils peuvent traiter des archives distinctes comme un seul et unique fonds d’archives. L’utilisateur n’a alors plus besoin de savoir quelle archive existe, ni où elle est localisée, pour accéder à son contenu et l’utiliser.
- II. Revues alternatives : en second lieu, les savants ont besoin des moyens pour lancer une nouvelle génération de revues alternatives engagées dans le libre accès et pour aider les revues existantes qui choisissent d’opérer la transition vers l’accès libre. Puisque les articles de revues devraient être diffusés aussi largement que possible, ces nouveaux périodiques n’invoqueront plus le droit d’auteur pour restreindre l’accès et l’utilisation du matériel qu’ils publient. Puisque le prix constitue un obstacle à l’accès, ces nouvelles revues ne factureront pas l’abonnement ou l’accès, et se tourneront vers d’autres méthodes pour couvrir leurs frais [….].
Nul besoin de favoriser une solution plutôt qu’une autre pour toutes les disciplines et toutes les nations, ni d’arrêter de chercher de nouvelles alternatives originales » [INI2004].
Les éditeurs, après une période de frilosité, on rapidement adapté leurs politiques éditoriales à l’émergence de l’accès ouvert en jouant sur les deux stratégies. Ils ont ainsi pour la plupart rendu publiques leurs politiques par rapport au green open access, regroupées sur le site Sherpa/Romeo[10]. Ils ont rapidement créé la notion d’embargo, période durant laquelle un chercheur ne peut pas rendre publique la version de sa publication revue par les pairs. Quand des embargos existent, leur durée est de six mois à un an pour les revues en sciences, techniques et médecine, jusqu’à trois ans pour certains éditeurs en sciences humaines et sociales. D’autre part, ils ont créé la notion de « revue hybride » dans laquelle le chercheur peut choisir de rendre public son article dès sa publication, moyennant le paiement d’un « coût auteur par article » (article processing charge ou APC). Ce système induit une double facturation pour l’accès à la revue et pour l’article. Selon une étude [SOL2012] publiée en 2012, un article coûte en moyenne 904 $, soit 681 €, avec une fourchette de prix allant de 8 $ à 3900 $.
Le modèle hybride a été estimé non viable par des organismes tels que ScienceEurope. Cette solution est source d’une grande confusion sur la notion de « gold open access » et l’on voit apparaître aujourd’hui la notion de « fair gold » qui correspond à la publication dans des revues alternatives telles qu’imaginées lors de la déclaration de Budapest, en opposition au « gold » qui correspond aux revues hybrides crées par les éditeurs et les sociétés savantes.
Pour un historique plus complet, on peut se référer au chapitre « Archives ouvertes, 15 ans d’histoire » écrit par Hélène Bosc en 2005 [BOSC2005].
Les politiques
Les déclarations de Berlin, en particulier celle de 2005 qui a vu la reconnaissance de l’obligation de dépôt au niveau universitaire, ont constitué les premières étapes de la mise en place de politiques institutionnelles.
Afin de répondre aux obligations fixées aux signataires de la déclaration de 2005, certaines universités pionnières ont mis en place des obligations de dépôts pour leurs chercheurs, textes souvent dénommés « mandat ». Ainsi, Harvard et l’Université de Southampton ont été parmi les premières universités à adopter de telles politiques volontaristes. Par le mandat de modèle Harvard, les chercheurs donnent à « l’institution le droit non exclusif et irrévocable de diffuser leurs articles scientifique pour tout usage non commercial ». Le mandat de l’Université de Southampton est différent puisqu’il oblige les chercheurs à déposer leurs publications sur le site en les mettant en accès ouvert si la politique de l’éditeur l’autorise. Ces mandats pionniers ont été suivis de nombreux autres et l’on compte, en juillet 2014, 219 mandats institutionnels sur le site ROARMAP[11].
Les années 2010 ont vu, après la prise de conscience par les bibliothèques et les institutions, la mise en œuvre de politiques gouvernementales. Celles-ci sont en général basées sur l’argument pragmatique qu’une science financée sur des fonds publics et donc par les contribuables doit être mise en accès gratuit pour ces mêmes contribuables, contribuant ainsi, d’une part à la diffusion des résultats scientifiques, d’autre part à leur réutilisation facilitée par les petites et moyennes entreprises. Le libre accès aux résultats de la recherche scientifique « permet de mettre les résultats de la recherche à disposition de tous et facilite la participation de la société » [REC2012], argument fort qui a initié dans plusieurs états européens la mise en œuvre des politiques d’obligation de dépôt.
Ce mouvement important vers le green open access aux Etats-Unis, Allemagne, Italie, Espagne, Australie, Grande-Bretagne va de pair avec un développement des archives ouvertes dont 2600 sont référencées sur le site OpenDOAR[12] en juillet 2014.
Quelques pays ont néanmoins adopté des politiques qui privilégient le financement des articles en gold open access : la Grande-Bretagne dans un premier temps, avec le rapport Finch en 2012, suivi en 2013 d’une avancée vers la voie verte avec la politique du Research Council (RCUK). La Norvège finance en partie la voie dorée par l’intermédiaire de son Conseil de la Recherche.
Parallèlement, se sont développés des moteurs de recherche mutualisés qui moissonnent les archives ouvertes et proposent une interface de recherche unique. C’est le cas du moteur OpenAire établi dans le cadre d’un projet européen. On constate néanmoins que ces moteurs ont du mal à trouver leur public du fait de la prééminence auprès des chercheurs de l’utilisation du moteur de recherche Google Scholar.
Cette problématique est une de celles adoptée par l’association « Confederation of Open Access Repositories » (COAR)[13] qui structure les porteurs d’archives ouvertes. Un des objectifs de cette association est d’harmoniser les métadonnées des archives ouvertes afin de les rendre plus sûrement moissonnables et interopérables. Après la création des premières archives ouvertes, leur normalisation, le travail sur leur interopérabilité, la prochaine étape de développement serait alors leur mise en réseau distribués.
Archive ouverte : définition, état des lieux
Comme on l’a vu précédemment, l’accès ouvert a d’abord été une affaire de chercheurs dont la réalisation s’est concentrée autour d’initiatives thématiques telles qu’ArXiv et Cogprint. C’est quand la crise des périodiques s’est avérée de plus en plus prégnante, au début des années 2000, que la problématique est devenue celle des bibliothécaires, qui sont alors devenus partenaires, voire même prescripteurs, dans le processus.
Reprenons une partie de la définition d’une contribution au libre accès, rédigée lors de la déclaration de Berlin, en octobre 2003 : « 2. Une version complète de cette œuvre, ainsi que de tous ses documents annexes, y compris une copie de la permission définie dans ce qui précède, est déposée (et, de fait, publiée) sous un format électronique approprié auprès d’au moins une archive en ligne, utilisant les normes techniques appropriées (comme les définitions des Archives Ouvertes [Open Archives]), archive gérée et entretenue par une institution académique, une société savante, une administration publique, ou un organisme établi ayant pour but d’assurer le libre accès, la distribution non restrictive, l’interopérabilté et l’archivage à long terme. »[14]
Cette définition a plusieurs conséquences : les dépôts institutionnels sont des collections numériques de « résultats originaux de la recherche scientifique » produits au sein d’une université ou d’un organisme de recherche. C’est sur les caractéristiques de ce type de dépôts, uniquement orientés vers les résultats de la recherche, que nous mettons l’accent dans ce chapitre. Nous ne traitons pas des dépôts de thèses et autres documents (travaux d’étudiants, documents administratifs) dont les problématiques sont différentes, car n’impliquant pas le processus de communication scientifique. Par ailleurs, cette définition insiste sur l’importance de faire porter les sites de dépôts par des institutions qui assurent le respect des normes techniques et l’archivage à long terme. Les dépôts des publications par les chercheurs sur leurs sites personnels ou de manière non formalisée sur leurs sites de laboratoires ne rentrent pas dans cette définition et ne seront donc pas à promouvoir auprès des chercheurs.
Si l’auto-archivage des publications dans des répertoires institutionnels permet l’inventaire et la diffusion des publications, il doit également assurer leur préservation : celle-ci ne doit pas être laissée au libre choix d’éditeurs privés, d’autant plus que ceux-ci proposent de plus en plus des modèles économiques de ventes de licences d’accès plutôt que d’achat de contenus. On peut ainsi penser que la préservation n’est pas leur priorité. En France la mission de préservation est assurée par le Centre Informatique National de l’Enseignement Supérieur (CINES) qui archive pour préservation l’archive mutualisée HAL (Hyperarticles en ligne). Dans d’autres pays, cette mission est assurée par la Bibliothèque nationale, c’est le cas par exemple en Suède.
Le paysage français de l’accès ouvert est original car structuré autour de la plate-forme nationale HAL. Suivant les termes du protocole de 2006, suivi de la convention de partenariat signée en avril 2013 par les conférences des présidents d’universités et de grandes écoles et les grands organismes de recherche, la politique française en matière d’archives ouvertes est ainsi structurée autour du « développement coordonné des archives ouvertes sur la base du développement de la plate-forme mutualisée HAL et de son interconnexion avec les archives institutionnelles des établissements partenaires ». Les établissements font donc face au choix de se doter d’un portail HAL qui est une « entrée spécifique, permettant de mieux identifier une institution, une discipline, un congrès etc… ». Les documents déposés se retrouvent alors dans la base mutualisée HAL. Ils peuvent aussi se doter d’une archive ouverte sur une plate-forme indépendante de HAL avec éventuellement un reversement de leurs dépôts (métadonnées et/ou fichiers) dans la plate-forme mutualisée HAL. Nous verrons plus loin comment les bibliothèques peuvent participer à ce choix, voire même être prescripteurs sur certains critères.
Les bibliothèques, en tant que porteurs des projets d’archives ouvertes, ont ainsi à répondre à un double défi : d’un côté, rendre le processus de dépôt le plus simple possible afin qu’il soit pris en main facilement par les chercheurs. D’un autre côté, assigner aux dépôts des métadonnées la meilleure qualité possible afin qu’ils soient visibles, ce qui demande beaucoup de temps et d’efforts. Souvent, la facilité de dépôt a été privilégiée au détriment de la qualité des métadonnées, nuisant ainsi à l’interopérabilité des sites de dépôts.
Implication des bibliothèques
Dans ce contexte, les bibliothèques devront mettre en œuvre un éventail de compétences afin d’être moteurs pour l’accès ouvert dans leur établissement. Les résultats de l’enquête réalisée en 2012 par le consortium Couperin[15] auprès des porteurs d’archives ouvertes en France [OLL2013] ont montré que les difficultés rencontrées pour mettre en œuvre ces projets se concentrent autour de quatre points : l’implication des chercheurs en tant qu’auteurs de publications, le manque de communication institutionnelle autour du projet, le manque de moyens humains et enfin le manque de volonté politique pour porter le projet.
En premier lieu, les bibliothécaires doivent être eux-mêmes convaincus de l’importance de la diffusion des résultats de la science en accès ouvert. Ils sont souvent plus sensibilisés à cette question que la plupart des chercheurs qui vivent un modèle de publication savante à fortes contraintes, pour lequel le facteur d’impact de la revue dans laquelle ils publient est prépondérant. En conséquence les chercheurs ne se sentent pas libres de choisir de diffuser leurs publications en accès ouvert. Les bibliothécaires sont par nature très sensibles à la question car ils sont en première ligne pour négocier les prix des bouquets de revues avec les éditeurs. Ils perçoivent en général, mieux que tout autre acteur de l’établissement, les limites du modèle de publication académique actuel. La compréhension des enjeux de l’accès ouvert, des différents modèles en présence, la connaissance des possibilités de créations d’archive ouverte sont des compétences qui devront être acquises dans les bibliothèques avant tout début de projet.
Ces enjeux devront ensuite être portés auprès des chercheurs, des directions scientifiques et des instances de l’établissement. Une discussion budgétaire sur les montants d’accès aux bouquets de revues électroniques pourra être l’occasion d’initier le débat. Comment sortir de ces achats d’accès aux bouquets de revues, qui ont pris des proportions inquiétantes dans les budgets documentaires des établissements ? La transition vers le tout accès ouvert, par l’intermédiaire du dépôt de la version revue par les pairs dans un site institutionnel, est une solution à présenter. On pourra également mettre en avant la recommandation de la commission européenne du 17 juillet 2012 et l’obligation exigée des porteurs de projets H2020 de déposer leurs publications en accès ouvert [REC2012].
Politique institutionnelle
A ce moment du débat, plusieurs questions se poseront à l’établissement. Les réponses à ces questions détermineront sa politique institutionnelle en matière d’archive ouverte :
- l’établissement souhaite-t-il se doter d’une plate-forme de dépôt des publications du site selon un modèle de green open access ? La réponse à cette question sera fondatrice ou non du lancement d’un projet d’archive ouverte. Des établissements peuvent y répondre de manière négative, en laissant aux chercheurs le soin de déposer leurs publications sur HAL, sur une autre plate-forme thématique ou sur leurs sites de laboratoires.
- l’établissement souhaite-t-il voir sur ce site l’ensemble de la production scientifique de l’institution ? De manière plus précise, souhaite-t-il un simple signalement des publications ou un signalement accompagné du dépôt en texte intégral ?
- l’établissement souhaite-t-il rendre le dépôt des publications en texte intégral obligatoire ? Cela peut se considérer dans une visée d’exhaustivité aidant aux évaluations et permettant une connaissance fine de la production de l’établissement. Si oui, il devra se doter d’un mandat, texte définissant cette obligation et adopté ou porté par une instance comme le Conseil académique ou scientifique.
- quelle est la répartition disciplinaire des publications dans l’établissement ? Il faudra porter une attention particulière aux publications en sciences humaines pour lesquelles les politiques éditoriales présentent souvent des embargos de longue durée (de une à plusieurs années) et prendre en compte ces critères dans le projet.
Au cours de l’avancée du projet, vont ensuite se poser des questions organisationnelles, techniques, des questions de communication et d’information des chercheurs et bien sûr des questions juridiques.
Portages de projets d’archives ouvertes
Une fois la politique de l’établissement en matière d’archive ouverte définie dans ses grandes lignes, se pose la question de la plate-forme d’accueil de l’archive. Là encore, les bibliothèques, par leur expérience de la gestion catalographique, de l’indexation, de la manipulation de métadonnées, ont des compétences à mettre en avant pour aider au choix de la plate-forme.
Le projet d’archive ouverte est un projet informatique classique dont le déroulement dépend en grande partie du choix de la plate-forme fait en amont : la plate-forme nationale HAL ou archive ouverte institutionnelle spécifique ? Plusieurs arguments peuvent aider à faire ce premier choix :
- quel est l’existant au sein de l’établissement en termes d’accès ouvert ? Y’a-t-il de nombreux laboratoires sous tutelle du CNRS, dont les chercheurs ont déjà l’habitude de déposer dans HAL ?
- le projet peut-il bénéficier d’un budget ? La mise en place d’un portail HAL nécessite peu de crédits mais un investissement humain. La mise en place d’une archive ouverte indépendante nécessitera probablement un budget de prestation pour mettre en place la plate-forme logicielle ainsi qu’un coût humain plus élevé.
- quelles sont les ressources humaines affectées au projet ? Sont-elles pérennes ou pas ? Quelle seront les ressources humaines affectées lors du fonctionnement de l’archive ?
L’ensemble de ces éléments peut permettre de guider le choix entre un portail HAL et une archive ouverte indépendante.
La durée du projet devrait être l’occasion d’impliquer les différents acteurs de l’établissement : bibliothèque, direction scientifique, directions de laboratoires, chercheurs. Ainsi, on pourra constituer un groupe de travail pluridisciplinaire qui prendra en compte les besoins des différentes composantes et essaiera d’adapter au maximum les services proposés à leurs demandes.
D’une manière plus globale, les bibliothèques devront, sur ces thématiques, travailler en réseau afin de mettre en œuvre de manière coordonnée les référentiels pertinents (pour les auteurs, les laboratoires) ou les statistiques d’utilisation. Le travail établi en France dans le cadre du projet « Bibliothèque Scientifique Numérique » (BSN)[16] va dans le sens de la coordination des initiatives.
Communication, information auprès des chercheurs
La sensibilisation des chercheurs aux concepts de l’accès ouvert et plus précisément au projet d’archive ouverte qui se met en place, prendra une part importante du temps de ce projet. En effet, ceux-ci, pris dans leur travail quotidien et souvent indifférents voire réticents aux enjeux de l’accès ouvert, ne voient pas la valeur ajoutée de l’archive ouverte et même la considèrent souvent comme potentiellement chronophage.
Tout l’art des porteurs de projets, bibliothécaires, groupe de travail, sera alors de concilier l’apport de valeur ajoutée par des services – diffusion des publications sur une page personnelle ou un site web de laboratoire, constitution automatique de bibliographies pour réponses aux évaluations… – à un programme important de formation et d’information : participation aux réunions de laboratoires, interventions en conseil scientifique, publications d’actualités sur le site web ou l’intranet, organisation de tables rondes, journées d’informations, cafés open access, tels sont les éléments qui pourront être mis en œuvre afin de sensibiliser les chercheurs. On pourra également s’intéresser aux chercheurs en devenir, les doctorants, en leur proposant des formations spécifiques dans le cadre de leur cursus doctoral.
La promotion de l’archive ouverte, à la fois en état de projet et en production, nécessitera donc de la part des bibliothèques la mise en place d’un solide bagage de communication, d’information, de sensibilisation, accompagné de diplomatie et de connaissance du sujet. Les bibliothèques devront également apprendre à connaître les pratiques spécifiques des chercheurs de leur institution en termes de publication scientifique : quels sont les facteurs prédominants qui président au choix d’une revue ? Quand l’option open access est proposée par l’éditeur sous forme d’APC payante, est-elle souscrite par les chercheurs ? L’établissement opère-t-il un recensement de ces dépenses ? Les chercheurs utilisent-ils les réseaux sociaux de la recherche ? Si oui, en font-ils un argument pour ne pas déposer leur publication sur l’archive institutionnelle ? Les débats sont vifs au sein de certaines communautés de chercheurs sur la reconnaissance même de l’existence des archives ouvertes comme moyen de comptage des publications. Si ce débat est présent dans l’institution, l’appui des instances sera utile afin de convaincre les chercheurs.
Aspects juridiques
L’une des questions les plus fréquentes des chercheurs à propos du dépôt en archive ouverte concerne le droit. Ils ont signé un contrat avec l’éditeur (souvent sous la forme d’une case à cocher lors du processus de soumission de l’article) et sont du coup persuadés qu’ils ont perdu tous leurs droits sur cette publication. La question doit être scindée en deux points distincts [BOU2013] :
Quels sont les droits de l’auteur sur les différentes versions de son article suite à la validation de celui-ci par un éditeur ? La réponse variera grandement en fonction des éditeurs. Les politiques de plus de 1600 éditeurs (chiffres août 2014) sont regroupées sur le site Sherpa-romeo. Les bibliothécaires devront aider les chercheurs à trouver cette information, soit en intégrant un appel aux informations de ce site pendant le workflow de dépôt dans l’archive ouverte, soit en opérant eux-mêmes un contrôle à priori ou à postériori du dépôt.
Quel statut juridique ont les documents déposés dans l’archive ouverte et quelle licence d’utilisation peut-on leur adjoindre ? Là encore, la réponse dépend du contrat signé par le chercheur avec l’éditeur. Si l’auteur signe une cession de droits non exclusive, il pourra adjoindre une licence Creative Commons (CC)[17] à son travail. Si l’auteur signe une cession de droits totale, il n’a pas cette possibilité. Dans tous les cas de figure, les porteurs du projet archive ouverte devront anticiper toutes les possibilités en proposant aux chercheurs la possibilité d’adjoindre une des versions de la licence CC à leur travail et en leur expliquant les différentes options qu’ils peuvent choisir.
Autres voies de l’open access
La voie green open access, soit celle du dépôt par les chercheurs de la version validée par les pairs de leur article sur des sites institutionnels, est aujourd’hui largement soutenue par des politiques nationales et institutionnelles fortes et par un réseau d’archives ouvertes toujours plus important. Néanmoins, les bibliothèques travaillent de plus en plus sur la voie dorée, en particulier en mettant en place dans quelques établissements et ceci en coopération avec les directions scientifiques, des recensements des APC financés par les chercheurs et laboratoires. Ce type de recensement est important car il permet d’avoir une idée du coût global de la publication savante dans un établissement, à la fois en termes d’accès et de publication. Connaître les articles publiés en hybride peut également permettre aux bibliothécaires de sensibiliser les chercheurs aux contraintes de cette solution.
Données de la recherche
Si les archives ouvertes sont actuellement en plein développement en France, c’est pour mieux préparer le prochain grand chantier qui s’ouvrira aux bibliothèques, celui de la mise en accès ouvert des données de la recherche. Les préconisations pour aller dans ce sens existent déjà au niveau du programme H2020 de la Commission Européenne. Certains pays ont largement avancé sur ce sujet, en particulier la Grande Bretagne avec les travaux du JISC[18]. En France, peu de bibliothèques académiques se sont lancées sur cette voie. L’INRA fait figure encore une fois de précurseur. L’idée, pour Odile Hologne, responsable de l’Information Scientifique et Technique à l’INRA est que la prise en main de cette fonction par les personnels de l’Information scientifique et technique se fasse par l’intermédiaire de ce qui fait ou doit faire partie de leurs compétences actuelles et à venir, à savoir la gestion des métadonnées et des référentiels [HOL2013].
Conclusion
L’accès ouvert aux informations issues de la recherche représente un enjeu important du processus de recherche. Pour les bibliothèques académiques, un ensemble de compétences techniques, organisationnelles et de communication est à mettre en œuvre. Si quelques compétences techniques spécifiques peuvent être nécessaires pour certains projets, la majorité des compétences sont familières aux bibliothèques puiqu’elles concernent la promotion de l’accès ouvert auprès des utilisateurs, chercheurs ou étudiants, la mise en œuvre des sites web normalisés accueillant les archives ouvertes, le travail mutualisé entre bibliothèques afin de construire des référentiels et infrastructures coordonnés, le rôle de conviction auprès des instances visant à mettre en place des politiques adéquates.
Ce travail passionnant a pour objet la mise en œuvre de l’archive ouverte institutionnelle qui sera à l’avenir l’épicentre de l’accès ouvert dans un établissement. D’une part, parce que ce site ou ses « descendants » sont ceux qui accueilleront les sets de données de la recherche et leurs métadonnées adéquates. D’autre part, parce qu’on peut penser que l’avenir de la publication scientifique est là, dans un processus de revue par les pairs renouvelé au sein de revues soutenues par des fonds publics et hébergées par des établissements ou des regroupements d’établissements. Les archives ouvertes seraient alors l’amorce d’une évolution des bibliothèques académiques vers des fonctions éditoriales renouvelées.
Ceci ne pourra se faire qu’au travers d’interactions de plus en plus étroites entre les bibliothécaires et les chercheurs, qui doivent avancer ensemble pour atteindre cet objectif d’un accès ouvert à tous aux résultats de la recherche.
Notes
[1] L’expression « accès ouvert » est utilisée pour remplacer et traduire « open access ».
[2] L’expression « bibliothèque académique » est utilisée comme traduction littérale de l’anglais « academic library » pour décrire les bibliothèques des établissements d’enseignement supérieur quels que soient leur statut.
[3] Toutes les réferences sont citées en fin d’article.
[4] SPARC : Scholarly Publishing and Academic Research Coalition.
[5]. ArXiv : physique, mathématiques, informatique http://arxiv.org/- Cogprints : sciences cognitives http://cogprints.org/ – RePEC : économie : http://repec.org/
[6]. Pubmed central : médecine, sciences de la vie, National Library of Medecine, USA http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/
[7] eDoc : archive ouverte de l’Université Humboldt, Berlin http://edoc.hu-berlin.de/
[8] Scielo : Scientific Electronic Library Online, Brésil : http://www.scielo.org
[9] Voir http://www.opendoar.org/
[10] Voir http://www.sherpa.ac.uk/romeo
[11]Voir http://roarmap.eprints.org
[12]Voir http://www.opendoar.org
[13]Voir https://www.coar-repositories.org
[14] Déclaration de Berlin sur le libre accès http://openaccess.inist.fr/?Declaration-de-Berlin-sur-le-Libre
[15] Voir http://www.couperin.org
[16] Voir www.bibliothequescientifiquenumerique.fr
[17]Voir http://creativecommons.fr
[18]Voir http://www.jisc.ac.uk
Bibliographie
[BOS2004] Bosc, Hélène. Pour une plus grande visibilité des travaux des chercheurs : l’exemple de l’archive ouverte PhysiologieAnimale http://phy043.tours.inra.fr:8080 [consulté le 27 août 2014]. http://halshs.archives-ouvertes.fr/sic_00497213/
[BOS2005] Bosc, Hélène. Archives ouvertes : quinze ans d’histoire. In : Les archives ouvertes : enjeux et pratiques : guide à l’usage des professionnels de l’information / sous la direction de Christine Aubry et Joanna Janik ; [préface de Laurent Romary] Paris : ADBS , 2005.
[BOU2013] Bouvier, Stéphanie. Quelles licences de diffusion pour une archive ouverte institutionnelle, novembre 2013 [consulté le 27 août 2014]. http://blog.univ-angers.fr/projetao/2013/11/27/quelles-licences-de-diffusion-pour-une-archive-ouverte-institutionnelle/#.U8UzPEA39rZ
[HOL2013] Hologne, Odile. Données de la recherche : rôle des professionnels IST à l’Inra. Presenté au 43e congrès de l’ADBU, Le Havre, FRA, 2013 (2013-09-19) [consulté le 27 août 2014]. http://prodinra.inra.fr/record/207958
[INI2004] Initiative de Budapest pour l’accès ouvert [consulté le 22 juillet 2014] http://openaccess.inist.fr/?Initiative-de-Budapest-pour-l .
[OLL2013] Ollendorff, Christine. Enquête archives ouvertes, présentation lors des journées Couperin des 24 et 25 janvier 2013 [consulté le 22 juillet 2014]. http://couperin.sciencesconf.org/
[POY2014] Poynder, Richard. Interview wiht Kathleen Shearer, executive director of the Confederation of Open Acess Repositories, 2014 [consulté le 27 août 2014]. http://poynder.blogspot.co.uk/2014/05/interview-with-kathleen-shearer.html
[REC2012] Recommandation de la Commission du 17 juillet 2012 relatif à l’accès aux informations scientifiques et à leur conservation [consulté le 22 juillet 2014]. http://ec.europa.eu/research/science-society/document_library/pdf_06/recommendation-access-and-preservation-scientific-information_fr.pdf
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Pour aller plus loin :
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Harris, Sian. Moving towards an open access future : the role of academic libraries : a report of a roundtable commissioned by SAGE in association with British Library, August 2012 [consulté le 27 août 2014]. http://www.uk.sagepub.com/repository/binaries/pdf/Library-OAReport.pdf
Kern, Brian and Wishnetsky, Susan. Adopting and implementing an open access policiy : the library’s role. Serials Librarian, vol 66 n° 1-4, 2014. DOI:10.1080/0361526X.2014.880035
Suber, Peter. Open access. MIT Press, 2012. [consulté le 27 août 2014]. http://mitpress.mit.edu/sites/default/files/titles/content/9780262517638_Open_Access_PDF_Version.pdf